Votée pendant l’été, la loi Grenelle fixe les contours de la future RT 2012. Annoncée comme révolutionnant le monde de la construction, nous nous sommes intéressés à son contenu, pour imaginer ce que cette loi va changer par rapport aux pratiques actuelles.
La loi grenelle est votée le 23 juillet 2009 dans sa version définitive. Dans son article 4, elle dresse un tableau de la future réglementation RT2012. Après le passage en deuxième lecture au senat, le texte est celui-ci :
La réglementation thermique applicable aux constructions neuves sera renforcée afin de réduire les consommations d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre. Elle s’attachera à susciter une évolution technologique et industrielle significative dans le domaine de la conception et de l’isolation des bâtiments et pour chacune des filières énergétiques, dans le cadre d’un bouquet énergétique équilibré, faiblement émetteur de gaz à effet de serre et contribuant à l’indépendance énergétique nationale.
L’État se fixe comme objectifs que :
a) Toutes les constructions neuves faisant l’objet d’une demande de permis de construire déposée à compter de la fin 2012 et, par anticipation à compter de la fin 2010, s’il s’agit de bâtiments publics et de bâtiments affectés au secteur tertiaire, présentent une consommation d’énergie primaire inférieure à un seuil de 50 kilowattheures par mètre carré et par an en moyenne ; pour les énergies qui présentent un bilan avantageux en termes d’émissions de gaz à effet de serre, ce seuil sera modulé afin d’encourager la diminution des émissions de gaz à effet de serre générées par l’énergie utilisée, conformément au premier alinéa ; ce seuil pourra également être modulé en fonction de la localisation, des caractéristiques et de l’usage des bâtiments ; chaque filière énergétique devra, en tout état de cause, réduire très fortement les exigences de consommation d’énergie définies par les réglementations auxquelles elle est assujettie à la date d’entrée en vigueur de la présente loi. Afin de garantir la qualité de conception énergétique du bâti, la réglementation thermique fixera en outre un seuil ambitieux de besoin maximal en énergie de chauffage des bâtiments ; ce seuil pourra être modulé en fonction de la localisation, des caractéristiques et de l’usage des bâtiments ; une étude de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sera réalisée afin de proposer un niveau pertinent de modulation pour respecter les objectifs fixés au premier alinéa et de mesurer l’impact économique de l’ensemble du dispositif prévu ; cette étude examinera également les questions liées aux facteurs de conversion d’énergie finale en énergie primaire ;
b) Toutes les constructions neuves faisant l’objet d’une demande de permis de construire déposée à compter de la fin 2020 présentent, sauf exception, une consommation d’énergie primaire inférieure à la quantité d’énergie renouvelable produite dans ces constructions et notamment le bois-énergie ;
c) Les logements neufs construits dans le cadre du programme national de rénovation urbaine prévu par la loi n° 2003-710 du 1 er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine respectent par anticipation les exigences prévues au a .
Les normes susmentionnées seront adaptées à l’utilisation du bois comme matériau, en veillant à ce que soit privilégiée l’utilisation de bois certifié et d’une façon plus générale, des bio-matériaux sans conséquence négative pour la santé des habitants et des artisans.
Pour atteindre ces objectifs, les acquéreurs de logements dont la performance énergétique excédera les seuils fixés par la réglementation applicable pourront bénéficier d’un avantage supplémentaire au titre de l’aide à l’accession à la propriété et du prêt à taux zéro.
La RT 2012 sera t-elle une transposition de la norme BBC ?
Non, pour plusieurs raisons.
a) Toutes les constructions neuves faisant l’objet d’une demande de permis de construire déposée à compter de la fin 2012 et, par anticipation à compter de la fin 2010, s’il s’agit de bâtiments publics et de bâtiments affectés au secteur tertiaire, présentent une consommation d’énergie primaire inférieure à un seuil de 50 kilowattheures par mètre carré et par an en moyenne ;
Cette partie du texte est compatible avec le BBC qui fixe également ce seuil modulable de 50 kWhep/m².a.
pour les énergies qui présentent un bilan avantageux en termes d’émissions de gaz à effet de serre, ce seuil sera modulé afin d’encourager la diminution des émissions de gaz à effet de serre générées par l’énergie utilisée, conformément au premier alinéa ; ce seuil pourra également être modulé en fonction de la localisation, des caractéristiques et de l’usage des bâtiments ;
Cette partie la en revanche est un sacré « fourre tout ». Nulle possibilité d’interpréter ce texte sans le rapporter aux débats de l’assemblée et du senat. Car, « les énergies qui présentent un bilan avantageux » ne sont pas nommées, et pourraient concerner la biomasse, qui est déja à l’heure actuelle encouragée par une pondération du facteur de conversion, mais aussi paradoxalement l’électricité, ce qui est en revanche tout à fait nouveau et contraire à l’esprit de la norme BBC.
Cette partie de texte est en elle même vague, et ce sera le décret d’application qu’il faudra suivre de près.
Le seuil pourra être modulé en fonction des caractéristiques et l’usage des bâtiments. La encore, c’est une innovation qui n’est pas présente dans le BBC.
Afin de garantir la qualité de conception énergétique du bâti, la réglementation thermique fixera en outre un seuil ambitieux de besoin maximal en énergie de chauffage des bâtiments
Cette partie de texte n’est pas anodine, elle vise à relever la valeur du besoin en énergie utile de chauffage de la maison et donc obliger à faire que les maisons soient mieux isolées. Ce que le BBC n’a pas fait et qui est à notre sens son plus gros défaut. Maintenant, contrairement à l’objectif affiché des 50 kWhep/m².a, rien n’est défini si ce n’est le mot « ambitieux ».
Si la France voulait imiter ses voisins, cette valeur serait proche de 40% en moins par rapport à la RT 2005. Mais il est beaucoup plus probable que cette valeur soit augmentée symboliquement, pour qu’elle n’apparaisse pas comme une exigence contraignante.
Quelle esquisse pour 2020 ?
L’article ci après fait référence à l’objectif final :
b) Toutes les constructions neuves faisant l’objet d’une demande de permis de construire déposée à compter de la fin 2020 présentent, sauf exception, une consommation d’énergie primaire inférieure à la quantité d’énergie renouvelable produite dans ces constructions et notamment le bois-énergie ;
Comprenne qui pourra…
Nous en revenons au bâtiment à Energie positive, qui fait l’objet ici d’une critique. Tout est depuis le départ dans le slogan : quel est le périmètre des consommations d’énergies ? Qu’appelle t-on énergies renouvelables ?
La définition actuelle du bâtiment à énergie positive n’a d’ailleurs rien à voir : On ne parle pas de réduire à zéro la consommation en énergie primaire, mais juste de faire des bâtiments qui respectent au moins le BBC et qui en plus produisent au moins autant d’électricité en énergie finale que leurs consommations de chauffage / eau chaude / ventilation / éclairage, exclusion faite de l’électroménager.
Les normes susmentionnées seront adaptées à l’utilisation du bois comme matériau, en veillant à ce que soit privilégiée l’utilisation de bois certifié et d’une façon plus générale, des bio-matériaux sans conséquence négative pour la santé des habitants et des artisans.
Alléluia ! Ce serait parfait si les termes employés n’avaient pas transformés cette partie en quelque chose qui ne releve d’aucun programme ni d’aucune contrainte.
Maintenant, les industriels des matériaux de construction sauront qu’il faudra s’ateller à relooker leurs produits en « bio-matériaux sans conséquence négative pour la santé des habitants et des artisans ».
Plus sérieusement, cette partie de texte n’est pas liée à une exigence mais simplement une déclaration de bonne intention, que l’on retrouve dans un article ultérieure consacré à la formation professionnelle.
La loi fait t-elle la part belle au lobbie des « grilles pains » ?
Les associations ont, à l’occasion des passages du texte devant les assemblées, tiré plusieurs fois la sonnette d’alarme sur la récupération de la norme RT 2012 au profit des tenants du chauffage électrique. Sous cet amendement, proposé lors de la dernière lecture au Sénat et adopté le 10 février 2009, on retrouve une proposition qui vise à adapter le facteur de conversion de l’électricité, l’aménager afin que la RT 2012 n’interdise ni chauffage ni production d’eau chaude électrique.
une étude de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sera réalisée afin de proposer un niveau pertinent de modulation pour respecter les objectifs fixés au premier alinéa et de mesurer l’impact économique de l’ensemble du dispositif prévu ; cette étude examinera également les questions liées aux facteurs de conversion d’énergie finale en énergie primaire ;
Les « questions » tournent autour de la valeur de 2.58 considérée par certains comme injustifiée. En point de mire, c’est la question du nucléaire qui est en débat. Pendant les échanges au sénat, (disponible ici), on voit poindre deux arguments qui vont justifier cet amendement :
M. Dominique Braye. […] Dans ces conditions, je me demande si un jeune couple qui vit dans un logement HLM aura la possibilité d’utiliser l’électricité pour se chauffer – c’est le mode de chauffage le moins cher en termes de coût d’installation et, désormais, de fonctionnement – et pour produire son eau chaude. […] Ce que je crains, comme de nombreux acteurs, c’est que votre Grenelle ne devienne antisocial. Le pauvre ménage de quatre personnes qui vit dans un petit appartement de 50 mètres carrés ne pourra pas faire fonctionner un chauffage électrique et un ballon d’eau chaude électrique ! […] J’ajoute que, compte tenu de la conjoncture, plus de 10 millions de Français qui pouvaient accéder à la propriété voilà encore dix-huit mois ne le peuvent plus aujourd’hui. Si vous prenez des mesures préjudiciables aux populations les plus modestes, ce nombre risque fort d’augmenter, et dans des proportions importantes !
Nous sommes, en Europe, les meilleurs en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Voulez-vous laver plus blanc que blanc ? Et cela sur le dos de nos concitoyens les plus modestes ?
Un peu plus loin…
M. le ministre d’État a dit qu’il n’était pas question de privilégier une énergie par rapport aux autres. Effectivement, on en privilégie deux et on en pénalise une ! En effet, lorsque vous consommez chez vous 1 kilowattheure, cela compte pour 2,58 kilowattheures d’énergie primaire s’il s’agit d’électricité, mais seulement pour 1 kilowattheure dans le cas du gaz ou du fioul. […] le dispositif qui nous est actuellement soumis peut avoir des conséquences très importantes et graves dans les domaines économique, sociétal et environnemental. […] j’évoquerai d’abord les conséquences environnementales du dispositif proposé. N’oubliez jamais que nous sommes en France et que, dans notre pays, l’énergie qui émet le moins de gaz à effet de serre, c’est précisément l’énergie électrique, pour la raison simple qu’elle est produite à 90 % par le nucléaire et par l’hydraulique. Ainsi, elle ne contribue pas à l’aggravation de l’effet de serre.
Que l’on peut résumer :
1- le chauffage électrique est une bonne chose
2- le chauffage électrique est nucléaire donc sans gaz à effet de serre
3- supprimer le chauffage électrique éleverait le cout de la construction
Tout ce discours part d’un postulat qui fait du chauffage électrique une référence positive pour les maisons à basse consommation. Mais le discours ne résiste pas à l’analyse.
- Le chauffage électrique n’est pas le moins cher à l’installation. Si on prend une maison passive pour exemple, quasiment dans tous les cas, son système de chauffage rudimentaire est moins couteux qu’une solution de chauffage électrique. Les maisons chauffées avec un poêle seront également généralement moins couteuses.
- Le chauffage électrique n’est pas parmi les moins chers à l’usage. Ou alors seulement si la seule alternative qu’on lui connait est … le fioul ou le gaz. Et encore, le chauffage électrique est quand même bien plus couteux, si l’on raisonne en intégrant les abonnements. Et les énergies renouvelables ? Toutes les solutions bois sont bien moins chères à l’usage.
- Supprimer le chauffage électrique créée une problématique du « pouvoir construire ». Cet argument est étonnant car il renvoie à notre passé récent, ou les plans d’incitations au chauffage électrique ont détruit la filière de l’efficacité énergétique (la France a été leader dans ce domaine il y a 30 ans) et amènent chacun à s’étonner du retard gigantesque qu’accuse la France par rapport à ses voisins. Quand les allemands developpaient leurs premières maisons passives, en France, nous mettions en avant quelques références « haute performance énergétique » avec vivrelec et confort électrique, ce must de l’époque culminerait en E ou F de nos classes énergétiques actuelles. Pourquoi la france serait-elle le seul pays incapable de construire des bâtiments performants et bon marché ? Comment font les autres pays pour, par exemple, construire leurs logements sociaux aux normes passives en maitrisant leurs surcouts ?
- Le chauffage électrique est sans gaz à effet de serre. Un pays comme la France se doit de réflechir une politique énergétique en ne cherchant pas forcément à s’adapter à l’offre mais en poussant la demande dans le sens qui lui parait être le plus indiqué. Lorsque la valeur de 2.58 a été définie dans les années 1970, le parc électrique francais comptait environ 30% de sa production en nucléaire, le reste en centrales thermiques. Ajouter le rendement de production est en soit logique, lorsque un menage chauffe au gaz, on comptabilise le rendement de cette chaudière. Les études conduites sur ce sujet tendent à montrer qu’avec l’augmentation de la production nucléaire à 78%, et leur rendement de 31% en moyenne (plus faible donc que les centrales thermiques), ce facteur de conversion sera plutot en réalité de l’ordre de 3.30. En plus, il semblerait que le panier énergétique francais est déja très largement insuffisant pour satisfaire les pics de consommation dus au chauffage électrique. Chaque nouvelle installation de chauffage électrique rend le modèle de production actuel de plus en plus dépassé. Il est absurde de glorifier le bilan carbone francais alors que de plus en plus, nous recourrons à l’importation d’électricité pour satisfaire la demande. Une étude conduite par EDF et l’Ademe était d’ailleurs arrivée à la conclusion que chaque kwh électrique pour le chauffage produisait 180 g de Co2. Rapporté pour comparaison au 230 g des chaudières gaz, ce résultat n’est ni flatteur, ni satisfaisant par rapport aux enjeux.
Voir également sur ce sujet
Rapport de Negawatt sur les problématiques posées par le chauffage électrique « La pointe d’électricité en France, zéro pointé »
L’ajout de ce paragraphe est très préoccupant, car au départ, le facteur de conversion traduit l’énergie qu’il aura fallu produire par rapport à l’énergie consommée, et n’en déplaisent aux promoteurs du chauffage électrique, abaisser le vecteur énergétique travestirait la réalité, car la base de 2.58 est plutot largement en dessous de la réalité, du fait de l’augmentation de la part en hiver de consommation d’électricité de pointe importée d’Europe.
Par ailleurs, il en faut pas oublier l’effet secondaire qu’aurait une décision d’abaisser le facteur de conversion électrique : les pompes à chaleur seraient LA solution qui atteindrait les meilleurs résultats en énergie primaire, sans rival possible. Prendre une telle décision obligerait à revoir TOUTES les pondérations pour compenser cet effet.
La révision du facteur de conversion de 1 pour le fioul ou le gaz serait en revanche une bonne chose, car aujourd’hui très favorable, et ne traduit absolument pas la consommation d’énergie nécessaire à extraire et apporter et conditionner ses énergies.
Tous ses discours traduisent surtout une faiblesse dans les discussions autour de la basse consommation. Alors que a priori, l’objectif est de baisser les gaz à effet de serre, nulle part la réglementation ne permet de qualifier les bâtiments par rapport à leurs productions de GES. Il aurait été beaucoup plus simple qu’en plus des 50 kWhep/m².a, une exigence supplémentaire concerne l’émission tolérée de gaz à effet de serre par unité de surface, par exemple 6 kg de Co2 / m².an.
Ainsi, il n’aurait pas été nécessaire de travestir les valeurs de conversion en énergie primaire pour freiner cette évolution vers des bâtiments performants.
Car que reste t-il ?
Les bâtiments neufs en RT2012 seront t-ils plus performants ? Un peu plus mais on ne sait pas de quelle proportion. Donc les tenants de la révolution énergétique repasseront.
Les bâtiments consommeront-ils moins de 50 kwh/m² ? Oui, mais avec tellement de modulations que personne ne pourra comprendre ce que signifiera ce chiffre, qui est déja actuellement largement incompréhensible pour le maitre d’ouvrage et TRES discutable lorsque c’est cette seule exigence qui figure de la réglementation.
Les bâtiments présenteront-ils des factures énergétiques plus réduites ? Ce n’est même pas sur, car si l’OPECST (l’organisme chargé d’évaluer l’opportunité de moduler le facteur de conversion des énergies) arrive à des conclusions qui réhabilitent le chauffage électrique, qui est faut-il le rappeller l’énergie la plus chère à l’usage, la facture d’énergie ne risque pas d’être divisée par cinq !
Au final, cette nouvelle loi pérpétue la grande tradition du bazar regnant autour de l’affichage de la performance d’un bâtiment. Car toutes nos méthodes de calcul, pondérations, procédures logicielles donnent des résultats différents, et en plus on ne mesure pas la même chose de la même façon !
Le DPE (diagnostic de performance énergétique) exigé à la livraison d’un bâtiment donne des résultats différents de la RT 2005 -procédure de calcul différente-, qui elle même est incompatible avec le calcul du BBC -ajout d’une pondération sur le facteur de conversion de la biomasse-, et la RT2012 ne sera compatible avec aucune des démarches précédentes, du fait de l’ajout de nouvelles pondérations, d’un possible nouveau facteur de conversion…
Cela signifie que le chiffre figurant sur votre classe énergie qui note de A à G la performance du bâti varie considérablement selon la méthode utilisée. On aura fait mieux question sensibilisation du grand public.
Alors chacun peut s’émouvoir de l’objectif de 50 kWhep/m².a. Le 50 du BBC ne vaudra pas celui de la RT2012, il ne sera évidement pas équivalent aux procédures de nos voisins européens (mais pourquoi chercher à s’adapter alors que la France est le centre du monde), et il ne signifiera rien en terme de performance intrinsèque d’un bâtiment.