Conserver la chaleur : l’exemple Inuit
Nous allons voir maintenant en détail comment se traduisent dans les faits « conserver la chaleur » et ce que ça change par rapport à la construction française habituelle. Nous ne parlerons pas du tout ici des aspects qui tournent autour de « capter la chaleur » (voir pour cela notre autre dossier sur le bioclimatisme).
Nous allons tout d’abord voire en détail quelle réponse on peut apporter pour un climat très froid et ensuite pour un climat très chaud. Notre climat est tempéré, et nous avons donc au cours de l’année besoin de faire face soit à des impératifs de chauffage, soit à des impératifs de rafraîchissement. En analysant dans le détail les solutions d’habitations traditionnelles dans les climats arctiques et tropicaux sec, nous pourrons ainsi mieux comprendre comment en faire la synthèse. Les habitations traditionnelles dans ces climats extrêmes sont, par essence, des habitations passives. Les climats font régner des situations qui sont tellement éloignées de celle qui est la zone de confort pour l’être humain qu’il a fallu dès le début trouver des solutions. Il ne s’agit plus de question de confort, mais de questions de survie.
l’exemple Inuit
Les Inuits vivent dans les régions arctiques au nord du canada et au sud du Groenland. Traditionnellement, ce peuple avait un mode de vie nomade, conditionné par les déplacements des populations animales qui assuraient leur subsistance. Pendant l’été, les Inuits vivaient dans des tentes de peaux, assez semblables à celles de leurs cousins indiens vivant sous des latitudes plus clémentes. Mais pendant l’hiver, cet habitat ne suffit plus à assurer une protection suffisante contre le froid intense et le blizzard. Les Inuits ont donc inventé des igloos, habitats semi-enterrés, construits en neige. Tout le monde connaît le terme, pourtant l’igloo véritable est bien plus sophistiqué que la simple coupole de blocs de neige à laquelle on pense immédiatement. Déjà, il faut savoir que l’igloo peut être à la fois un abri de fortune ou une habitation plus durable. L’abri de fortune est petit, construit rapidement en quelques heures, et peut abriter quelques personnes. Il est utilisé pendant que la troupe de déplace au début de la saison froide, ou par des chasseurs en expédition. Il sera construit en revanche des igloos plus grands, plus soignés et plus durable lorsque la troupe a atteint la zone où elle passera l’hiver au bord de la banquise à proximité des phoques. C’est ce grand igloo que nous allons décortiquer.
D’abord, le matériau qui servira à faire le mur est composé de neige. Ce doit être de la neige, et non de la glace. La différence est très importante, car la neige est toujours à 0°C exactement, alors que la glace peut être bien plus froide. Il faut pourtant que cette neige assure la portance du mur, les Inuit utilisaient donc de la neige pressée par le vent. Les cristaux de neiges sont intacts, mais ils ont été serrés par le vent, sans pour autant être écrasés. Cette neige a finalement une allure qui ressemble à du polystyrène expansé : rigide, mais très légère. Elle est composée de beaucoup d’air enfermé par les cristaux de neiges, ce qui en fait un excellent isolant.
Ensuite, la forme de l’igloo sera un dôme. Ceci pour plusieurs raisons : le dôme est le volume qui expose la plus petite surface pour clore un volume. Il limite donc les déperditions thermiques par rapport, par ex, à un carré surmonté d’un toit à deux pentes. Le dôme est autoporteur, et il peut être construit uniquement avec des matériaux n’ayant pas de résistance en flexion, comme des blocs de neige. Enfin le dôme créé une forme qui limite la résistance au vent, et diminue les turbulences induites par ce dernier. Cette forme est donc bien la forme idéale pour ce type de climat. Mais faire un dôme ne suffit pas, il faut encore réussir à le protéger contre les infiltrations d’air froid. L’entrée qui permet l’accès à l’igloo sera donc conçue comme un siphon : on creuse un petit tunnel qui passe sous le mur extérieur et remonte à l’intérieur. L’intérêt là encore est double. En ménageant un petit conduit on protège l’accès contre les éventuels ours curieux, et le fait de réaliser cet accès en forme de siphon créé une fosse à froid. De même que l’eau reste piégée dans un siphon, l’air froid va lui aussi emplir cet espace en y chassant l’air chaud, et y rester bloqué. Il n’y aura donc pas besoin de mettre de porte pour rendre l’accès étanche aux déplacements d’air.
Pour les mêmes raisons, le niveau utile de l’igloo, en quelque sorte son « plancher », se situera au-dessus du niveau de l’entrée extérieure. Si ce n’était pas le cas, l’air froid du siphon « coulerait » vers l’intérieur de l’igloo. Ci-contre deux exemples ratés. Celui du haut n’a pas de siphon, la chaleur produite par les occupants s’échappe vers le haut et aspire l’air froid. L’intérieur est à la température extérieure. Celui du bas est complètement enterré (en supposant par ex qu’ils ont creusé pour extraire la neige et ont profité du trou pour avoir moins de mur à construire). Les occupants se trouvant au point bas du siphon, ils sont assurés d’être perpétuellement dans la partie la plus froide. Ambiances glaciales garanties !
Revenons à notre igloo réussi : Il ne reste plus qu’à soigner les détails de finition. La coque extérieure de l’igloo sera soigneusement calfeutrée entre les blocs (ceux-ci éventuellement retaillés) avec de la neige poudreuse. Le vent la tassera dans les interstices. Du côté intérieur, la surface de l’igloo sera lissée pour gommer les aspérités. Ainsi, la chaleur dégagée par les occupants va faire fondre la surface de neige interne, et cette eau va en se mélangeant avec la condensation de la vapeur interne se répartir sur toute la surface, et geler dès la nuit tombée. La surface sera au final parfaitement étanche au vent grâce à cette mince pellicule. Pour qu’elle se forme sans encombre, il faut que la surface interne soit parfaitement dénuée d’aspérités, d’angles saillants ou des trous, sinon l’eau s’y transformerait en goutte et tomberait au sol en laissant une partie du plafond sans la finition anti-vent (et de plus recevoir une pluie glacée sur la tête n’est guère agréable).
Cette couche ne peut se former que si les murs sont effectivement réalisés avec de la neige. La neige est isolante, donc la chaleur interne ne la fait fondre que superficiellement, et elle regèle ensuite. Si le mur était composé de glace, la chaleur interne ferait fondre la glace en permanence, et celle-ci coulerait le long de la paroi, sans se refiger de nouveau. C’est notamment ce qui se passe dans les igloos qu’on peut construire chez nous quand il neige. La neige n’est pas assez compacte, et le compacte à la main la serre trop. La nuit cette neige durcit et gèle, se transformant en glace. Perdant sont pouvoir isolant, elle fond constamment à cause de la chaleur dégagée par les occupants.
Enfin, alors que la température rayonnée du mur de neige est de 0°C exactement, celle du mur de glace serait bien plus froide, et atteindrait pendant la nuit la celle de l’extérieur (-40°C…). En effet, la glace est la version solide de l’eau, et comme chacun sait, un matériau solide peut être à diverses températures tant qu’on reste en dessous du point de fusion. La glace peut être à à peine plus que 0°C, mais aussi à -40°C, voire encore bien plus bas que ça si l’environnement où elle se trouve est plus froid encore.
Il faut aussi assurer un renouvellement de l’air, car ainsi conçu notre igloo ne se ventile pas. Ses occupants vont s’asphyxier rapidement. Il faudra donc ménager des trous de ventilation : leur taille, nombre, et positions seront définies par la quantité de personnes se trouvant dans l’igloo. Il faut assurer juste assez de ventilation pour renouveler l’oxygène, mais sans que les pertes de chaleur induites par ces trous ne soient supérieures à la chaleur produite à l’intérieur.
Tel quel, l’igloo assure une température interne de 0°C minimum, quelle que soit la température extérieure et la vitesse du vent, ce qui est déjà formidable par rapport aux conditions de départ. Comme nous venons de le voir, l’air chaud va aussi être capturé et gardé à l’intérieur, ce qui va monter cette température jusqu’à 5°C pour un bon igloo. Mais ce n’est pas tout : comme les murs sont constitués d’isolant, ils ont la capacité de renvoyer une bonne partie des infrarouges émis par les occupants du lieu. Ainsi, la température réellement ressentie, qui est la moyenne de la température de l’air, et de celle des rayonnements reçus, sera encore plus élevée : entre 10 et 15°C ! A une telle température l’Inuit moyen peut enlever une bonne partie de ses vêtements. Mais on peut aller encore plus loin. Pour l’igloo construit pour durer toute la saison froide, qui est assez grand, les Inuits peuvent tendre sur ses parois internes des peaux (celles qu’ils utilisent l’été pour leurs tentes), voire carrément remonter des tentes entières dans l’igloo. Ceci augmente encore la température ressentie, jusqu’à un optimum d’environ 20°C. Je rappelle qu’il ne s’agit pas de la température de l’air à l’intérieur du volume (qui n’excède pas 5°C), mais bien de la sensation de chaleur perçue, et c’est bien celle-là qui intéresse les occupants du lieu.
L’igloo est la forme la plus aboutie d’habitat passif pour climat très froid. Le seul appoint de chauffage qu’il peut y avoir à l’intérieur est une lampe à huile, l’appareil à combustion d’huile animale à tout faire des Inuit : chauffage, cuisson, lumière. Comme il s’agit de l’appareil qui assure également l’éclairage, on peut considérer que l’igloo est parfaitement passif, dans le sens premier du terme, puisque l’appoint chauffage est réalisé par les pertes des apports internes (occupants et éclairage).
Cette explication minutieuse de l’igloo nous permet de mettre en évidence les caractéristiques fondamentales de l’habitat passif pour climat froid :
- Enveloppe très isolante
- Parfaite étanchéité à l’air et au vent
- Pertes minimales de calories par la ventilation
- Volume compact
Cela nous permet également de voir quel sont les éléments qui n’ont pas d’importance ou qui sont contre-productifs : une bonne orientation par rapport au soleil et des surfaces pour le capter, l’usage de matériaux ayant un grande masse et de l’inertie thermique.
Capter le soleil n’a pas d’intérêt parce qu’il n’y en a pas.
Utiliser l’inertie thermique sera suicidaire car la température moyenne du lieu est négative ! Les matériaux à forte capacité thermique seront donc dans ce climat des pompes perpétuelles de calories ne pouvant restituer qu’un froid glacial.
Si l’on résume, la maison parfaite pour ce climat très froid est une maison 100% isolante, suffisamment petite pour que la chaleur des occupants eux-mêmes suffise à les tenir au chaud.
Nous n’avons aucune idée aujourd’hui de la date à laquelle ont été conçus les premiers igloos, mais on peut supposer qu’il s’agit de la forme traditionnelle d’habitat passif la plus ancienne de l’Histoire humaine. Quant à la petite histoire, actuellement, les Inuits ont bénéficié du progrès à l’occidentale : ils ne construisent donc plus d’igloos, sauf pour le folklore, et ont adopté un mode de vie quasi-sédentaire, en construisant des villes de maisons préfabriquées en panneaux sandwichs de bois importé, métal et isolants synthétiques, qu’ils chauffent à grand renfort de pétrole…
Si il est bien fabriqué……l’igloo est effectivement bien plus efficace au froid……que ma tente « igloo » …dans laquelle nous avons campé plus d’ une semaine à -17 degrés…mais qui nous maintenait cependant à 14 degrés…tant que nos lanternes à bougie…️️️… restaient allumées