Conserver la fraîcheur : l’exemple mozabite
Allons maintenant voir à un autre endroit du monde, bien plus chaud. Nous voici dans le désert algérien, dans une région qu’on appelle le M’zab. Ici, le problème principal n’est plus du tout le froid. Le M’zab est un ensemble d’oasis très anciens, préhistoriques, qui ont été réaménagées par des ibadites en exil à partir du IXème siècle. Ces nouveaux arrivants ne venaient pas d’une région climatiquement identique, et ont dû, sur place, trouver de nouvelles solutions avec les matériaux locaux.
Les mozabites ont partagé avec les Inuits la difficulté de se procurer un matériau permettant de travailler en flexion pour faire des poutres. Le bois n’est pas aussi rare que dans l’arctique, mais il reste un bien à utiliser avec parcimonie. Les matériaux locaux les plus abondants sont tous de types minéraux : terre crue (argile), pierre, gypse.
Là encore, la forme qui sera la base de l’habitation est une voûte : elle permet de ménager des ouvertures sans utiliser de poutres en bois. La voûte mozabite était réalisée autour d’une ossature en nervures de palmiers, et servait de guide et de coffrage perdu (ces nervures sont un sous-produit inutile de la culture des palmiers). La voûte proprement dite était construite avec des pierres liées avec du plâtre. Comme ce liant a une prise très rapide, il autorise la construction de ces voûtes en se contentant du coffrage sommaire des branches de palmiers. Le tout est ensuite recouvert avec un enduit de chaux, qui sera plus dur que le gypse, et résistera bien mieux aux assauts du temps, et des pluies (très rares, mais pas inexistantes). Les murs sont donc nécessairement épais, car ces matériaux n’ayant qu’une faible cohésion, il faut faire une juste épaisseur pour que le mur tienne. Comme pour les Inuits, il s’agit d’une réponse optimum à tous points de vue : cette matière première locale et abondante est exactement ce qu’il faut à cey endroit pour se préserver de la chaleur. La protection contre la chaleur est réalisée de plusieurs manières :
La première est de construire des murs épais en matériaux massifs et lourds. Ceux-ci ne peuvent pas se réchauffer rapidement, et ils peuvent absorber beaucoup de chaleur avant d’augmenter leur température. Un mur de faible épaisseur garantirait de la fraîcheur pendant la matinée, mais une fournaise pendant l’après-midi car il se serait saturé de chaleur en une demi-journée, alors qu’un mur plus épais réalisera un déphasage plus long. Il s’agit toutefois d’un déphasage, la chaleur n’est donc pas bloquée, mais seulement ralentie. Pour diminuer la quantité de chaleur qui est captée par le mur, celui-ci est laissé blanc, la teinte naturelle de l’enduit de chaux qui le protège. Ainsi vêtu, il réfléchi la majeure partie du rayonnement perçu et n’en absorbe qu’une petite quantité. Malheureusement, s’il n’absorbe pas la chaleur il la réverbère et l’ensemble devient éblouissant, c’est pourquoi toutes les maisons seront serrées au maximum les unes sur les autres, de manière à ce que les ruelles soient étroites et que la lumière n’y pénètre pas trop. Les façades qui ne peuvent être ainsi protégée sont parfois peintes de couleurs différentes, des pastels ou des ocres, dans le but de trouver un compromis entre chaleur absorbée et lumière réfléchie.
Il sera aussi nécessaire de se protéger de la lumière solaire directe qui entrerait par les ouvertures. C’est pourquoi alors que la maison Inuit était conçue en enfermant un volume, celle des mozabites est conçue en enfermant un trou. La maison sera donc construite autour d’un patio. Ci-contre un patio romain, modèle courant au-dessus de la Méditerranée : le toit est encore en pente et recouvert. En dessous de la mer, la couverture cède la place à une terrasse. Le patio est la disposition la plus logique dans un climat chaud, car on peut ainsi réaliser une galerie autour du patio, et réaliser les ouvertures non pas dans les murs extérieurs vers la chaleur étouffante, mais vers la galerie ombragée intérieure. La dimension de cette galerie et celle de l’ouverture centrale du patio étant chez les mozabites conçue pour être minimale, et bloquer au maximum tout rayonnement direct. Ainsi, le patio est partiellement couvert et créé une terrasse au niveau supérieur. La zone réellement ouverte est réduite au strict minimum pour laisser entrer la lumière nécessaire. La maison comporte ainsi deux patios, qui seront utilisés successivement en fonction du moment de la journée, ou de la saison. Les habitants migrent en effet d’une zone à l’autre de la maison en utilisant la plus confortable à chaque moment : patio du bas pendant la journée, patio du haut le soir et la nuit. Patio du haut également pendant la journée, l’hiver. Le patio du haut étant complètement saturé d’une lumière aveuglante pendant la journée en été, il n’est pas possible de l’utiliser.
Dessin André Ravereaux – dans « le M’zab, une leçon d’architecture »
Le sol de l’igloo Inuit était conçu comme un piège à chaleur, en ménageant un siphon pour l’entrée, et en installant la surface utile au-dessus du niveau du sol. Ici au contraire, la surface utile sera la surface la plus proche du sol, celle justement ou l’air sera le plus frais. Ceci explique d’ailleurs pourquoi les occidentaux utilisent traditionnellement des meubles avec des pieds : c’est pour se surélever du sol et ainsi échapper à son rayonnement froid. Il s’agit d’une version moins efficace du siphon Inuit, mais pensée pour les mêmes raisons. Dans le pays chaud au contraire, la vie aura lieu directement au ras du sol, ce n’est pas parce qu’on ne sait pas y construire de meubles ou de chaises avec des pieds, mais tout simplement parce que c’est la zone la plus confortable de la maison et qu’y utiliser des chaises ne ferait que se rapprocher de l’air chaud étouffant du plafond. La proximité du sol n’est toutefois pas suffisante, et il faut y adjoindre une circulation d’air pour chasser les calories. L’enceinte extérieure de la maison est donc percée de fentes, guère différentes de meurtrières, qui servent à laisser passer l’air pour assurer la ventilation. Ces fentes servent aussi de regard vers l’extérieur, c’est pourquoi elles se trouvent sur le milieu bas des murs (il faut pouvoir regarder au travers lorsqu’on est en position normale, donc, aussi au sol). Cette position basse favorise en outre la circulation de l’air par convection naturelle, de manière inverse à l’igloo. Les prises d’air extérieures sur tout le pourtour sont en partie basse, elles servent d’entrée à l’air proche du sol relativement frais, aspiré par l’air chaud qui s’élève par l’ouverture centrale du patio. L’étroitesse des ouvertures accélère la vitesse de l’air, ce qui crée un courant d’air rafraîchissant, parcourant toute la maison de l’extérieur vers l’intérieur.
Dessin André Ravereaux – dans « le M’zab, une leçon d’architecture »
La nuit, le rez de chaussée de la maison s’est réchauffé au cours de la journée, d’une part à cause de l’usage du lieu, et d’autre part à cause de la circulation permanente de l’air qui a apporté des calories. La nuit, la surface utilisée pour dormir sera celle de l’étage, largement ouverte sur l’extérieur. Le rayonnement chaud de la terrasse qui a chauffé pendant toute la journée compense la fraîcheur nocturne, et la circulation de l’air dans le rez de chaussée, va dissiper la chaleur du jour car cette fois-ci l’air neuf sera plus frais que les murs. La ventilation nocturne sera donc accélérée d’autant par une différence de température plus importante. Situé près des palmeraies, l’air est humidifié par les arbres, et rafraîchi. Dans les endroits aux climats chauds et secs dépourvus du soutien des arbres, les ouvertures sont munies de claustras en terre cuite poreuses qui sont humidifiées, et jouent le même rôle.
Dans ce climat, la nuit n’est plus le froid et le mauvais moment à passer, mais au contraire le moment de repos et de calme après la fournaise du jour. L’activité se développe donc en fin de journée et pendant la nuit. Elle est facilitée par la clarté exceptionnelle du ciel et sa faible nébulosité, qui rend l’éclat de la lune par exemple bien plus intense que dans les pays du nord. Ceci est également rendu possible par la très faible fréquence des pluies, qui autorise un toit plat. Ce toit plat joue donc le double rôle de toit du rez de chaussé, et de plancher de la terrasse. Enfin, cette terrasse sera toujours orientée au sud, car on peut ainsi réaliser une galerie qui sera à l’ombre, tout en favorisant la pénétration de la lumière vers le rez de chaussée. L’ouvrir au nord ne protégerai pas plus de la chaleur, car cela diminuerait le tirage thermique nocturne, et priverai le rez de chaussée de la lumière qui lui est quand même nécessaire. Ainsi l’on voit que même dans les climats les plus chauds de l’hémisphère nord, l’ouverture au sud est la meilleure protection contre la surchauffe estivale.
Cette explication minutieuse de la maison mozabite nous permet de mettre en évidence les caractéristiques fondamentales de l’habitat passif pour climat chaud :
- Enveloppe très massive, démunie de grandes fenêtres
- Patio ou ouverture centrale assurant un tirage thermique permanent, aucune étanchéité des ouvertures à l’air
- Dissipation maximales des calories par la ventilation
- Zonage de l’habitation pour permettre de changer de pièces en fonction du moment de la journée
Cela nous permet également de voir quel sont les éléments qui n’ont pas d’importance ou qui sont contre-productifs : ouvrir des larges fenêtres au nord, l’usage de matériaux isolants et de murs très étanches à l’air.
Comme les ouvertures doivent être laissées ouvertes tout le temps, de larges fenêtres au nord posent un problème d’intimité contrairement à l’ouverture en plafond du patio. En outre l’ouverture au nord n’amène pas assez de lumière car elle ne peut pas desservir toute la maison.
Utiliser les murs isolants serait suicidaire, car la température moyenne rayonnée dans ce climat est trop chaude tout le temps : il est donc vital de s’entourer de matériaux qui ne nous renvoient pas notre propre chaleur mais qui contraire l’absorbent et nous donnent une sensation de fraîcheur.
Enfin, réaliser une enveloppe du bâtiment qui soit parfaitement étanche à l’air est un non-sens puisque le déplacement permanent de l’air est indispensable pour échapper à la suffocation d’un air surchauffé. Il faut réaliser une enveloppe qui surtout n’est pas étanche à l’air et provoque au contraire sa circulation.
Si l’on résume, la maison parfaite pour ce climat très chaud est donc une maison 100% massive, construite autour d’une cheminée thermique qui va provoquer un déplacement d’air constant pour rafraîchir cette masse, ses occupants, et dissiper la chaleur du jour pendant la nuit.
Ces habitations permettent de générer une atmosphère interne qui n’excède pas les limites du confort humain, tout en ne consommant pas d’énergie ni pour le chauffage, ni pour la climatisation. Mais les mozabites eux aussi ont été touchés par le progrès à l’occidentale, et il construisent désormais des maisons en parpaings creux de ciment, y mettent des fenêtres vitrées étanches de grande dimension, qu’ils occultent ensuite avec des volets perpétuellement fermés, et dotent l’ensemble d’un énorme système de climatisation thermodynamique sans lequel tout usage du lieu serait impossible…
un grand merci pour l’auteur qui a écrit cet article, je le trouve très intéressant et riche en informations et conseils, je suis un mozabite je m’intéresse au bioclimatique, j’ai connait des choses dans l’article mais j’ai appris d’autres choses et ça m’aidais d’éviter quelques fautes que j’ai pas fait attention, j’aimerai avoir un contact de l’auteur si c’est possible et je le remercie une deuxième fois.
Excellent article de vulgarisation, où une néophyte comme apprends beaucoup.
Serai t il trop vous demander de faire un plan modernisé de la bâtisse idéale selon vous pour les zones du sahara? Avec l’orientation adéquate?
Une autre question, on ne parle pas dans cet article de l’apport que pour jouer l’élément végétal, qu’en pensez vous?
Il n’y rien de particulier à faire pour « moderniser » un type de bâtiment lorsqu’il parfaitement adapté à son climat. En général ce genre de question se pose lorsqu’on a fait évoluer le mode de vie, vers des standards européens du nord qui n’ont rien à faire dans un climat tropical chaud et sec, et qu’en conséquence on tente d’adapter l’environnement à ce mode de vie. Mais c’est exactement l’inverse qu’il faut faire. Et de toute façon on ne peut pas faire de plan « idéal », chaque plan doit être adapté à son contexte.
L’élément végétal est entièrement dépendant de la présence d’eau. Les habitations décrites ici étaient réalisées dans des oasis, et donc à proximité des palmeraies. Avec de la tuyauterie moderne il n’est théoriquement pas impossible de faire venir l’eau assez près pour nourrir de la végétation dans la maison, mais je ne suis pas certain que ce soit un choix viable à long terme tant en terme de coût que de disponibilité de la ressource.
Je ne comprends pas pourquoi il faut construire des passoires dans ces zones ?je suppose que l’air à l’intérieur sera toujours plus frais qu’à l’extérieur à part la nuit donc une bonne isolation et déphasage de plusieurs heures avec renouvellement de l’air constant par un puit provençal serait plus intéressant vu les écarts de température jour\nuit
Même s’il est plus frais, l’air est trop chaud quand même. Il est donc nécessaire de provoquer une sensation de fraicheur en faisant circuler l’air assez vite pour qu’on ressente ce courant d’air. Le puits provençal ne marcherait qu’un temps, car faute de pouvoir se recharger en fraicheur, il deviendrait de plus en plus chaud, jusqu’à atteindre un point d’équilibre qui serait le même que l’air extérieur. Ces systèmes ne fonctionnent bien que dans des climats où il y a un fort contraste saisonnier entre hiver et été puisqu’ils ne font de rediffuser avec un déphasage ces écarts de température.
Bonjour,
Merci de votre article qui est très instructif. Je souhaite construire une maison autonome en énergie en afrique de l’ouest à Abidjan en côte d’ivoire (zone de climat » tropical »). Les températures vont de 20 à 35 degrés, l’air est très humide. Et il y a une grosse période de saison des pluies.Est ce que les principes que vous décrivez y sont adaptables? Si le choix de grandes baies vitrées n’est pas optimal comment avoir une maison lumineuse? Enfin quelles recommandations pourriez vs donner pour ce projet dans ce contexte climatique. Merci de votre aide.